mardi 25 octobre 2011

Ouvrir l'Objet (1)

le 20 octobre 2011
Ecole des Beaux-arts de Toulouse
Les séquences "Ouvrir l'Objet" reproduisent les écrans à partir desquels les séances du cours de photographie se font. Le propos de chaque séance est de développer (sens photographique) le contenu des écrans. Ce sont des montages de photographies hors-format. Ce sont des montages dialectiques parfois éclectiques à l'intérieur desquels des images entretiennent les unes avec les autres des séries de liens faibles. Le contenu d'un écran n'est pas la somme des pistes offertes par les images mais à l'intérieur du cheminement proposé par ces photographies (que réactivent les liens ci-dessous) la possibilité de détours, de hors-sujet, d'association d'idées, de déclics, d'emportements, d'égarements, bref la possibilité de laisser la place à ce qui arrive au fil d'un temps de parole collectif partagé et qui constitue la saveur particulière de ce que nous appelons : le cours. Peut-on atteindre (selon le mot de Roland Barthes) un montage idiorrythmique ?

Anthony Hernandez, Landscapes for Homeless, ou ici
Brassaï, Les sculptures involontaires, 1933
Walker Evans, Beauty of the Common Tool, 1955
François Aubert, La chemise de l'Empereur Maximilien, 1867
Patrick Tosani, série des cuillères, 1988
Jan Svoboda, Traité sur l'espace, 1971
Edward Weston, Pepper, 1930

dimanche 23 octobre 2011

Expérience/réflexion

Henri Meschonnic, Poétique du traduire, éditions Verdier, 1999

"J'ai rassemblé quelques éléments pour une poétique de la traduction, et une expérience. La théorie n'en est que l'accompagnement réflexif. Toute deux, inachevables. L'expérience est première. (...)"   

Henri Meschonnic, début de Poétique du traduire, Verdier, 1999

Il ne peut être question ici de théorie, d'aucune sorte. Mais plutôt de réflexion, dans un sens que je préciserai bientôt. Je veux me situer entièrement hors du cadre conceptuel fourni par le couple théorie/pratique, et remplacer ce couple par celui d'expérience et de réflexion. Le rapport de l'expérience et de la réflexion n'est pas celui de la pratique et de la théorie. (...) 

De l'expérience, Heidegger dit : "Faire une expérience avec quoi que ce soit (...) cela veut dire : le laisser venir sur nous, qu'il nous atteigne, nous tombe dessus, nous renverse et nous rende autre. Dans cette expression, "faire" ne signifie justement pas que nous sommes les opérateurs de l'expérience; faire veut dire ici, comme dans la locution "faire une maladie", passer à travers, souffrir de bout en bout, endurer, accueillir ce qui nous atteint en nous soumettant à lui...

Telle est la traduction : expérience. Expérience des œuvres et de l'être-œuvre, des langues et de l'être-langue. Expérience, en même temps d'elle-même, de son essence. (...) J'appelle l'articulation consciente de l'expérience de la traduction, distincte de tout savoir objectivant et extérieur à celle-ci (...), la traductologie. (...) le lieu ouvert et tournoyant d'une réflexion. (...) La traductologie : la réflexion de la traduction sur elle-même à partir de sa nature d'expérience. (...)"

Antoine Berman, La traduction et la lettre ou l'auberge du lointain, Seuil, 1999

Antoine Berman, traducteur et penseur de la traduction récuse l'opposition théorie/pratique et adopte le terme de traductologie (qu'il distingue d'une science de la traduction) pour désigner un nouveau domaine spécifique de réflexion sur la traduction en tant qu'expérience. La traductologie selon Berman est donc la reprise réflexive de l'expérience qu'est la traduction, et non une théorie qui viendrait décrire, analyser et éventuellement régir celle-ci. L'expérience et la réfléxivité ne seraient-elles au fond que les deux composantes indissociables d'un seul et unique ensemble : la traduction.

John Baldessari, Goya Series : And, 1997

samedi 8 octobre 2011

Kitchen Frenzy

ChristopherJonassen, série Devour
Bernhard Blume and Anna Blume, Kitchen Frenzy, 1986
JoachimMogarra, les favellas de Rio, 1985
Wols, Sans titre, 1938
ConstanceThieux, Fauxcorps, 2008
SigmarPolke, sans titre, 1970
PatrickTosani, C, 1988, 182 x 120 cm, cibachrome + entretien

L'autre jour, au restaurant où nous allions dîner avec des amis, H.C. me disait des choses passionnantes : tous les problèmes de l'heure étaient en question. 

Tout en parlant, nous descendîmes au lavabo.

Eh bien, je ne sais pourquoi, brusquement,

La façon dont mon ami rejeta la serviette-éponge,

Ou plutôt la façon dont la serviette-éponge se réarrangea sur son support - me parut beaucoup plus intéressante que le Marché Commun.

Plus rassurante aussi (et bouleversante, d'ailleurs) me parut cette serviette-éponge. Et, pendant le dîner, je fus ainsi sollicité plusieurs fois. 

(...)

Ces pêches, ces noix, cette corbeille d'osier, ces raisins, cette timbale, cette bouteille avec son bouchon de liège, cette fontaine de cuivre, ce mortier de bois, ces harengs saurs,

Il n'y a aucun honneur, aucun mérite à choisir de tels sujets.

Aucun effort, aucune invention; aucune preuve ici de supériorité d'esprit. Plutôt une preuve de paresse, ou d'indigence.

Partant de si bas, il va falloir dès lors d'autant plus d'attention, de prudence, de talent, de génie pour les rendre intéressants.

Nous risquons à chaque instant la médiocrité, la platitude; ou la mièvrerie, la préciosité.

Mais certes leur façon d'encombrer notre espace, de venir en avant, de se faire (ou de se rendre) plus importants que notre regard,

Le drame (la fête, aussi bien) que constitue leur rencontre,

Leur respect, leur mise en place,

Voilà un des plus grands sujets qui soient.

Francis Ponge, Nouveau recueil, De la nature morte et de Chardin, éditions Gallimard, 1967