jeudi 29 août 2013

En voiture

Qu'est-ce que je fais là, anéantie, sur le toit de cette voiture ? Est-ce que je me dis : "qu'il est doux de se tenir sain et sauf sur le rivage à regarder les autres lutter au milieu des courants déchaînés et des vents furieux. Non qu'il y ait du plaisir à tirer du malheur d'autrui, mais il est doux d'être épargné par un tel désespoir" ? Sans doute, comme artiste, suis-je moi aussi en guerre.

Sophie Ristelhueber, WB, 4e de couverture, extrait de Lucrèce, De rerum natura, 2005

Sophie Ristelhueber, WB, éditions Thames & Hudson, 2005
Beaumont Newhall, Ansel Adams at Mona Lake, 1947
Quand vous conduisez, vous pouvez regarder les choses sans vraiment être là. Vous pouvez photographier les endroits et les gens sans avoir à vous expliquer.
(...)
Je me sens souvent plus attaché aux endroits quand je les ai traversés en voiture. J'ai envie d'y rester, d'y vivre même et je prévois de revenir et d'explorer, mais je ne le fais pas. En regardant l'endroit passer à toute vitesse, on peut en comprendre les formes comme en tournant quelque chose dans sa main.
(...)
Le monde se présente rarement comme une vue. Quand c'est le cas, nous nous arrêtons et nous le photographions.

Julian Opie, Conduire, édition contrat maint, 2002 

Jean Hélion, Figure tombée, 1939
Ce tableau s'appelle aujourd’hui Figure tombée, et je puis dire qu’il est célèbre. Mais parallèlement d’autres manoeuvres, d’autres révolutions, d’autres troubles agitaient le monde et le démolissaient comme j’avais moi-même détruit mon abstraction. Sous prétexte de mûrir, il s’effondrait lui-même. On entendait des bruits de bottes. Hitler tonitruait : la radio déjà rapportait ses discours incohérents comme des paroles bouillantes. Chacun pressentait la chute proche. Mais dans le silence de mon atelier, je me hâtais lentement. Je cherchais à mener mon œuvre à bout, c’est-à-dire redécouvrir le monde en clair : à le nommer insolemment.

Jean Hélion, A perte de vue, imec, 1997

samedi 24 août 2013

Archéologie de la photographie (9) La main

Françoise Goria, Archéologie de la photographie (9) La main 1989-2013
photographies sur papier baryté

Exposition Galerie de l'école d'art, Marseille, 1990
aussi, exposition Galerie andata.ritorno, Genève, 1990

samedi 10 août 2013

Images oiseaux

Pour l’exposition Des images comme des oiseaux, Patrick Tosani a choisi 676 photographies dans le fonds du Centre national des arts plastiques, cnap, dont il a visité la base de données numériques à partir de 2009. Il a opéré un choix subjectif dans les 12 000 photos du fonds : 
«Faire une exposition comme la métaphore de la construction d’une image (photographique) : être là, face aux choses, viser, cadrer, choisir, inventer un vocabulaire de formes, repenser un nouvel espace.
 Concevoir une exposition qui observe les territoires, la géographie, les lieux, qui regarde la généalogie des corps, qui scrute l’épaisseur de la peau, autant d’éléments de la corporéité de l’image photographique.» Patrick Tosani

L’exposition ressemble à un grand livre d’images à l’échelle 1. Dans la première salle les photographies ne sont ni au mur ni au sol mais accrochées sur des plans inclinés. Comme deux toits. Ou bien, l’espace inversé de deux livres ouverts. Le visiteur se sent petit. Les photos ont chacune leur taille, dans leur cadre ou sur leur support. Chacune leur format, leur texture, leur encadrement, leur brillance, leurs couleurs, leur sujet. Chaque photo est une Picture au sens défini par W.J.T.Mitchell : une image qui a pris corps. On voit d’abord les différences. C’est le support que l’on regarde, plus que les images. On met en tension des différences de formats, de surfaces, des répétitions. L’image ici est davantage reconnue que regardée. Parfois elle reste une promesse, un nom livré par le cartel qui reprend la topologie du plan. Comme l’Intégrale de Richard Baquié, en haut du plan incliné, dont on ne verra pas la finesse des collages. Les photographies sont présentées suivant l’ordre alphabétique des auteurs. Elles occupent l’espace d’accrochage comme le faisaient les tableaux dans un cabinet d’amateur au XVIIe siècle. Patrick Tosani, commissaire-amateur. C’est la collection du cnap qui est exposée. Il paraît que dans certains cabinets d’amateur tous les tableaux montrés étaient reproduits, peints, sur un des tableaux accrochés, qui servait de catalogue. L’espace est saturé d’images. Espace-atlas.
«Le déploiement des oeuvres dans l’espace d’exposition voudrait témoigner de générations d’artistes, d’une généalogie des genres, d’une typologie des espaces représentés, d’une filiation des corps, d’une répétition des temps et des instants, d’une observation récurrente du monde où la photographie est une vigie sensible, lucide et poétique.
 Le dispositif spatial pensé par Pierre Giner avec son inventive et généreuse complicité propose un principe de présentation des œuvres sur des plans inclinés. Il conduit le visiteur dans de multiples situations de visibilité et de regard qui impliquent le corps tout entier. Les œuvres issues de la sélection sont disposées avec une grande densité selon l’ordre alphabétique des auteurs.» Patrick Tosani

Les Images oiseaux dont parle Karl Sierek via Aby Warburg ont une propension à passer d’un média à un autre, de la peinture à la photo, au cinéma, aux images numériques, d’où leur survivance et leurs déplacements physiques et sémantiques.

Ce que fait Patrick Tosani est une  très belle démonstration de comment les images apparaissent depuis un siècle dans le média photographique. C’est un survol (oiseaux ?) ou plutôt une cartographie des pratiques contemporaines de la photographie et l’énigme réside dans le fait qu’ici, comme dans la nouvelle de Borges, la carte est le territoire, l'exposition est le catalogue.
Les plis que constituent les plans inclinés par rapport au sol et même la grande diagonale au deuxième étage par rapport aux murs sont des mouvements telluriques pour porter à la hauteur de notre regard ces Pictures, ces images incarnées dans la photographie, de telle sorte qu’aucune vision d’ensemble ne soit possible.
C’est là, il me semble, que l’on retrouve Mnémosyne (mémoire) dans l’agissement du visiteur-marcheur connectant mentalement à distance ces images arrimées à l’objet photo réel à travers lequel elles nous sont livrées.
Nous sommes pris dans cette physique libre de l’image où l’arbitraire alphabétique laisse, pour ainsi dire, venir, le mode d’être concret de chaque photographie.



Des images comme des oiseaux : elles volent d'un lieu à l'autre, de pays en pays, de continent en continent, partout où vivent les hommes. Oiseaux-images migrateurs. Légères et volages, elles sont constamment en mouvement. Ce trope apparemment si grâcieux venu du romantisme allemand du début du XIXe siècle se mue sous la plume de Warburg en l'idée d'une charge inassignable, d'un insaisissable concentré d'énergie, d'excitation et de mouvement. Comme "image-choc", elle éclaire soudain la conception générale qu'il se fait de l'image. La mobilisation et la dynamisation de l'image ne signifient pas seulement aux yeux de l'historien une intensification du mouvement, il ne discerne pas seulement l'aspect technique de cette révolution, il reconnaît aussi la valeur ajoutée que prend l'image en mouvement comme dispositif énergétique. Dans le concert des arts et des cultures, les états agrégatifs de l'image, qu'ils soient statiques ou cinétiques, sont abordés comme des problèmes discursifs et restent par conséquent prisonniers des constellations sociales du pouvoir et du contrôle.
Karl Sierek, Images oiseaux, Klincksieck, 2009

dimanche 4 août 2013

8 coins de tables



8 coins de tables :

Adam Schreiber, Halliburton Archiving Solutions (I), 1987-2009
Anna & Bernhard Blume, Polaroids, 1975
Bruce NaumanEating my Words, 1967
Emmanuel Sougez, Trois poires, 1934
Laura Letinsky, To Say It Isn't So, 2006
Olivier Richon, Madeleine en extase, 1991
Sigmar Polke,Tisch mit umgekippter Kanne,1970
Thomas DemandDetail X, Still Life on Office Desk, 2005