dimanche 9 mars 2014

Sur le mur du fond (1)

Bertrand Lavier, Walt Disney Productions, 1947-1985, photographie cibachrome
B. Lavier, Walt Disney Productions, 1947-2013, Acrylic on inkjet print, 214 x 216 cm
En 1986 des photographies de la série Walt Disney Productions , de Bertrand Lavier, figuraient dans l'exposition "Tableaux abstraits" à la Villa Arson. Ce sont de grandes photographies cibachromes qui reproduisent, agrandis, une série de tableaux abstraits inventés en 1947 par le Studio Disney pour meubler le Musée d'art moderne que visitent Mickey et Minnie au cours d'un de leurs périples. L'épisode est repris dans le journal de Mickey en 1977 sous le titre français de Traits très abstraits. Bertrand Lavier a isolé les peintures qui constituent le décor de l'histoire et les a fait accéder à une réalité très tangible. Montrées à de vrais visiteurs, à une échelle adaptée aux lieux d'art, ses peintures dessinées et tramées sont devenues en 1984... des photographies.

Cases issues du Journal de Mickey n°1279 de janvier 1977
Sensées être dans la bande dessinée des reproductions de peintures d'un musée imaginaire, ce sont ces reproductions qui sont reproduites pour devenir vraies oeuvres, regardées, discutées, achetées… Des oeuvres photographiques remplaçant à l'échelle un d'hypothétiques tableaux abstraits destinés davantage, en 1947, à figurer une idée de peinture abstraite qu'une quelconque réalité de cette peinture. (Le monde de Mickey n'est ni prospectif ni documentaire). En 1977, les pseudo peintures abstaites ont intégré des éléments du pop art et en 1984 Lavier, lui, sous la surface lisse de la photographie fait affleurer l'idée de la peinture alors qu'en même temps il montre ailleurs différents objets sous la peau épaisse et mouvementée de cette même idée de la peinture.

En 2002, lors de son exposition au Musée d'Art Moderne à Paris l'artiste accrochera les Walt Disney Productions dans un espace séparé du public par une vitre, recréant une distance, une "bulle" ou une "case", soulignant leur origine et troublant ainsi leur statut trop complètement acquis de peintures contemporaines. En septembre 2013, il expose chez Yvon Lambert une nouvelle version des Walt Disney Productions sous d'autres formats et utilisant d'autres modes de reproduction (3D, jet d'encre...) qui soulignent maintenant les pratiques actuelles et les liens complexes de la reproduction et de la peinture.

Bertrand Lavier, Walt Disney Productions, 1947-2013
En reproduisant ces "peintures", Bertrand Lavier les déplace et en paraphrasant Héraclite : il ne les reproduit jamais deux fois dans le même fleuve, jamais deux fois avec la même technique, jamais deux fois à la même taille, ni dans le même espace, jamais deux fois les mêmes perceptions, ni les mêmes enjeux, finalement jamais deux fois les mêmes reproductions. Peinture et reproduction interchangeables, se mirant l'une dans l'autre, se superposant en un jeu infini de variations sans origine. L'invention de Lavier est d'avoir donné à l'idée une condition d'objet idéal.

Bertrand Lavier, Walt Disney Productions, 1947-2013, Galerie Yvon Lambert
Il faut que les photographies deviennent des objets idéals.