dimanche 24 septembre 2017

Le monde est passivement photographique

J’essaye juste de trouver le degré zéro de l’appareil photo ou l’appareil photo ultime si l’on veut. (Steven Pippin)
Image documentaire d'un réfrigérateur transformé en sténopé photographiant une demi-douzaine d'œufs. Epreuve positive obtenue par contact du négatif papier original.
Armoire-sténopé, Port Hall Place, Brighton, hiver 1982-83, image documentaire. Négatif composite, six feuilles de papier photo 10 x 8 inch, Temps de pose : 90 mn.
Pour Steven Pippin, 'faire une photographie' ça commence en général par 'faire un appareil photo'.
C'est l'acte photographique qui importe, tout autant que la photographie qui en résulte. Tout au long de son parcours il a interrogé la pièce centrale du dispositif photographique : l'appareil photo.

Depuis 1982, Steven Pippin a transformé toutes sortes de boîtes en appareil photo : un réfrigérateur, plusieurs armoires, des toilettes, des baignoires, des machines à laver ou encore des Photomaton, une caravane, plusieurs bâtiments. Quels objets autour de nous peuvent devenir de potentielles chambres noires ?

Tout objet creux, quelle que soit sa taille est donc susceptible de devenir un appareil photo. C'est-à-dire d'utiliser son vide, non pas pour contenir d'autres objets mais pour fabriquer une image de ce qui lui fait face.

"Les recherches de Steven Pippin visent moins à transformer les objets en appareils photo qu'à sonder le potentiel passivement photographique du monde qui nous entoure." Frédéric Paul

"J’ai habité dans ma chambre noire pendant dix ans. J’avais juste de quoi me payer une seule pièce : c’était ma cuisine, ma salle de bains et ma chambre noire." SP


Image documentaire d'une baignoire transformée en sténopé.
L'idée de cette oeuvre a germé en prenant un bain. Puisque nous n'avons aucun autre lien avec elle, si la baignoire doit être transformée en appareil photo, elle ne peut photographier qu'une personne déshabillée. Négatif papier en deux parties, temps de pose : 90 mn, 1984.    
Le travail de Steven Pippin est constitué par les photographies qu'il réalise à l'aide des dispositifs qu'il élabore (ces photographies peuvent être ratées ou réussies) mais aussi par des photos et des films documentaires qui montrent le processus de réalisation. On y voit également des objets, reliques ou reste de l'expérience (la porte du photomaton, des appareils détruits…) ou bien du matériel spécialement fabriqué pour l'occasion (coffret contenant les objectifs pour machine à laver). Les dichotomies sont brouillées (objet d'art /document, objet d'art/objet fonctionnel, image/objet). C'est le temps de l'expérience qui est restitué sous toutes ses formes sans hiérarchie. Il s'agit d'inciter l'observateur à retracer l'histoire du processus. L'œuvre ici est un récit.


Self-portrait with Photobooth, dépôt d'autobus de Leicester, 1984.
Image documentaire, Œuvre détruite accidentellement. Temps de pose 20mn.
   
Il y a quelque chose d'acrobatique dans cette pratique. De l'acrobatie du cinéma burlesque. Toute une mécanique est mise en place, drôle et précise, ingénieuse et dérisoire. Ce déploiement d'invention infatigable contraste avec l'image de l'artiste impassible dans les images. Mais pour cela, impassible aussi dans la ville durant tout le temps de pose (90mn sur la baignoire, 20mn dans le dépôt d'autobus de Leicester, 2h20 sur un trottoir à Brighton…) Comme dans la photo de Daguerre autour du cireur de chaussure nous pouvons imaginer tout un hors-champ (interpellations, injures, projectiles…) échappant à la patience de l'image.

Pour qu'une armoire ou un frigo photographie son contenu il faut que celui-ci se retrouve à l'extérieur. La photo devient alors l'étrange puissance susceptible d'organiser ce face à face. L'espace d'un regard entre les objets.


Self-portrait with Photobooth, Villiers Street, Londres, 1987 - Epreuve positive par contact du négatif papier original. Cette tentative a échoué car le papier a glissé à la moitié de la durée de l'exposition. Temps de pose : 20 mn.

Out of Order, 1987 - Panneau occultant marqué "Out of order", construit sur mesure pour transformer un photomaton standard en sténopé. Muni d'une trappe, cet accessoire permet à l'opérateur d'accéder à la cabine dans l'obscurité nécessaire à la prise de vue.

Photo-Me, Villiers Street, Londres, 1987 - Photogramme du film documentaire Super 8 de 9 mn montrant l'utilisation du Photomaton transformé en sténopé : (1) l'opérateur sort de la cabine après l'avoir tapissée de papier photo, (2-3) il récupère l'épreuve négative.

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